Geoffroy Bunetel
18 septembre 2025

La Caisse des Français de l’Étranger : un modèle à réinventer ?

En cette rentrée, de nombreux Français s’installent à l’étranger et, naturellement, la question de leur couverture sociale se pose avec acuité.

La Caisse des Français de l’Étranger (CFE) constitue, en effet, l’une des grandes «institutions» de la présence française à l’international: au même titre que le réseau scolaire de l’AEFE, les chambres de commerce françaises à l’international (CCIFI) ou encore les Alliances françaises, elle fait partie de ces plateformes au service de la mobilité internationale des Français, qui contribuent à fluidifier l’expatriation et à valoriser le rayonnement de la France.

De la même manière que nous avons récemment interrogé le modèle de l’AEFE, la rentrée est l’occasion de dresser un état des lieux du fonctionnement de la CFE.

L’organisme fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière dans le cadre des Assises de la protection sociale des Français de l’étranger, lancées par le gouvernement sous l’égide de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et nourries par un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), rendu public il y a quelques jours. Ce rapport propose plusieurs pistes d’évolution pour la CFE, alors même que l’établissement traverse une phase délicate.

A lire aussi : Qu’attendre vraiment des premières Assises de la protection sociale de l’étranger ?

Un rôle unique mais marginal dans le paysage international

La CFE permet aux Français expatriés de continuer à bénéficier d’une couverture santé et sociale publique volontaire, notamment en matière d’assurance maladie, de maternité, d’invalidité, d’accidents du travail et de retraite (via la CNAV). À ce titre, elle constitue un lien entre la France et ses communautés à l’étranger, garantissant la continuité des droits sociaux et évitant une rupture brutale au moment du départ. Elle permet aussi aux bénéficiaires de continuer à utiliser leur carte Vitale lors de séjours en France.

Ce modèle est une singularité française. Peu de pays ont conçu un dispositif équivalent : l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie renvoient leurs ressortissants expatriés vers des assurances privées dès lors qu’ils s’installent hors de l’Union européenne. La CFE apparaît donc comme une originalité précieuse, mais aussi coûteuse à maintenir, d’autant que ses cotisations ont fortement augmenté au cours des deux dernières années.

Pourtant, la CFE ne concerne qu’une minorité de Français de l’étranger. D’après son rapport d’activité 2024, elle protège environ 175 000 personnes (contre plus de 200 000 en 2017), soit moins de 10 % des Français inscrits sur les registres consulaires (1,7 million) et environ 5 % de l’ensemble des Français établis à l’étranger (estimés entre 2,5 et 3 millions).

Cette couverture est en outre fortement concentrée : 70 % des assurés résident dans cinq pays seulement (Liban, Sénégal, Maroc, Tunisie, Thaïlande), qui ne figurent pas, à l’exception du Maroc, parmi les dix premiers pays d’expatriation de nos compatriotes.

Un modèle structurellement insoutenable

La CFE fait face à une situation paradoxale  et asymétrique: elle ne peut pratiquer de sélection des risques, mais l’adhésion reste optionnelle. Les profils jeunes et en bonne santé préfèrent souvent s’orienter vers des assurances privées internationales plus compétitives, tandis que la CFE accueille une population plus âgée, mécaniquement plus exposée aux risques de santé.

Le régime général français fonctionne, lui, sur un principe symétrique : l’adhésion y est obligatoire pour tous les salariés, et la Sécurité sociale ne peut exclure aucun profil.
Les assurances privées, à l’inverse, fixent librement leurs conditions et peuvent introduire des exclusions selon l’âge ou l’état de santé.
La CFE cumule donc les inconvénients des deux modèles : absence d’obligation d’adhésion et impossibilité de sélection adverse.

À cette fragilité s’ajoutent des frais de fonctionnement élevés, de l’ordre de 20 % des prestations liquidées, contre seulement 3 à 4 % pour le régime général.
Certes, la gestion d’un système à l’échelle mondiale est plus complexe, mais l’IGF et l’IGAS soulignent également une inflation des effectifs depuis vingt ans, alors même que près de 70 % des prestations sont déjà traitées par des prestataires externes. Résultat : la CFE est en déficit opérationnel structurel.

En l’absence de financement de l’État, ses fonds propres ont diminué de 20 % entre 2018 et 2023.

Une gouvernance très (trop ?) politique

La stratégie actuelle de la CFE mise sur le développement des contrats collectifs avec les entreprises. Mais paradoxalement, le monde économique est peu représenté dans sa gouvernance.

Sur 21 administrateurs, seuls deux représentent le MEDEF et un la mutualité. En revanche, trois élus représentent directement l’AFE et quinze autres administrateurs représentant les « assurés » sont en fait également désignés par l’AFE, et souvent eux-mêmes élus consulaires. Résultat : une gouvernance très politique, peu adaptée à la gestion d’un acteur évoluant de fait dans un univers concurrentiel.

Quelles réformes possibles ?

Le rapport IGF/IGAS avance plusieurs pistes techniques : améliorer la gouvernance en l’ouvrant davantage au monde de l’entreprise, réduire les coûts de gestion, revoir certains paramètres de fonctionnement. Des ajustements indispensables, mais sans doute insuffisants.

Il propose également des scénarios plus stratégiques :

  • la suppression pure et simple de la CFE, qui ne concerne encore une fois qu’une minorité de Français de l’étranger. Cette hypothèse pose la question de l’allocation des 150 millions d’euros de fonds propres de la CFE dans un climat de disette budgétaire. Elle reste très sensible car elle risquerait de fragiliser les expatriés les plus vulnérables sans leur proposer d’alternatives sérieuses
  • l’intégration au régime général, piste sans doute la plus intéressante, puisqu’elle recréerait une symétrie entre solidarité et universalité. En mutualisant les risques et les frais de gestion, elle permettrait de faire baisser les cotisations à la CFE, la rendant ainsi plus attractive à des expatriés plus jeunes,
  • le financement direct par l’État, qui paraît toutefois peu crédible au regard de la situation budgétaire actuel.

Au-delà de ces options somme toute un peu « technocratique », la CFE pourrait utilement s’inspirer de benchmarks internationaux, déjà documentés par l’Institut des Français de l’étranger dans son rapport récent sur le financement de la santé.

Celui-ci valorise des modèles hybrides qui équilibrent responsabilité individuelle (via franchises, épargne santé, choix modulables) et solidarité collective (socle universel, fonds de péréquation), à l’image de la Suisse, des Pays-Bas ou de Singapour. Malgré ses difficultés, la CFE conserve des fonds propres qui pourraient être mobilisés pour expérimenter de telles innovations en valorisant des modes de fonctionnement auxquels nos compatriotes sont confrontés dans les pays où ils vivent.

A quelques mois du renouvellement de l’Assemblée des Français de l’Etranger, autant dire que nos élus ont « la pression » pour trouver des solutions efficaces et innovantes.

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