Des décennies que l’Allemagne n’investit plus dans sa défense, pour des raisons historiques et géopolitiques. Pourtant, le retour de la guerre en Europe rebat les cartes: le pays doit suivre la marche du monde et engager un « Zeitenwende », un changement d’époque comme l’avait nommé l’ancien chancelier Scholz en 2022. Depuis, les investissements pleuvent dans ce secteur. Et la grande bénéficiaire, c’est l’armée allemande, la Bundeswehr: l’Etat s’est endetté à hauteur de 100 milliards d’euros pour la remettre sur pied et en faire « la plus grande armée d’Europe » selon les propos de Scholz. Le nouveau chancelier Merz, lui, n’est pas en reste: il a fait passer une loi d’endettement de 500 milliards d’euros sur 12 ans en mars dernier, dont une partie sera aussi réservée à la défense. De quoi réjouir Peter Scheben, chef de service à la Fédération allemande de l’industrie de la sécurité et de la défense: « De nombreux sous-traitants de l’automobile par exemple sont en difficulté et cherchent à se reconvertir dans la défense. (…) Jusqu’à présent, les quantités commandées par l’armée allemande à l’industrie étaient si faibles qu’il n’y avait pas de production industrielle en série comme dans l’industrie automobile. Cela va devoir changer désormais. »
Un secteur qui explose
L’Institut économique de Kiel estime que le PIB de l’Union européenne pourrait augmenter de 0,9 à 1,5 % par an grâce à la hausse des dépenses militaires. En Allemagne, les investissements de l’Etat dans la Bundeswehr ont un effet domino: ils permettent aux petites et moyennes entreprises d’obtenir de nouveaux contrats. Et donc aussi d’embaucher du personnel plus qualifié. Eva Brückner est spécialiste du sujet: elle travaille pour l’entreprise de conseil Heinrich & Coll, et aide les entreprises du secteur à recruter des profils spécialisés: « La volonté de travailler dans ce secteur a nettement augmenté. On a compris qu’assurer la paix passait forcément par la dissuasion », résume-t-elle. Elle observe ce changement d’époque flagrant en Allemagne: « La génération des 30–50 ans disait autrefois : je préfère œuvrer pour la paix que pour la guerre », la question du réarmement de l’Allemagne ayant été taboue pendant des décennies. « Aujourd’hui, beaucoup veulent contribuer à la sécurité. »
Les Français convoités
En Allemagne, il est possible pour un étranger de travailler dans une industrie aussi sensible que la défense. « Il existe une liste d’États définie par le gouvernement fédéral », explique Eva Brückner, une liste de pays ne pouvant pas accéder à des postes à responsabilité dans cette industrie. « La France n’y figure pas », au plus grand plaisir des employeurs. « Les citoyens français sont généralement les bienvenus, surtout dans les entreprises binationales comme KNDS, où les compétences culturelles et linguistiques sont précieuses. » KNDS est un fleuron de l’industrie de la défense européenne, né de la fusion entre le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann. Il est cependant plus difficile pour les Français de travailler directement pour des services de l’Etat allemand, explique Peter Scheben: « Dans les domaines liés à la sécurité, lorsqu’il s’agit de traiter des documents classifiés, les employés doivent faire l’objet d’un contrôle de sécurité par les autorités allemandes. Cela prend encore beaucoup de temps actuellement. Nous travaillons à des solutions européennes. »
Du côté de la parité, le chemin est encore long, selon Eva Brückner: « En 2020, j’ai réalisé une analyse de marché sur le sujet. Dans les deux premiers échelons hiérarchiques de cette industrie, les femmes représentent moins de 5 % des effectifs. Et la situation ne s’est pas améliorée ces dernières années » regrette la spécialiste.
La cyber sécurité, clé de voûte de la défense
« Les sujets comme l’intelligence artificielle ou les technologies émergentes, nous n’en sommes qu’aux prémices » explique Peter Scheben, qui regrette parfois que la bureaucratie allemande empêche au secteur de grandir comme il le faudrait. « Dans le domaine de la technologie des drones, les cycles d’adaptation des logiciels dans le cadre de la guerre en cours en Ukraine sont de 14 jours » explique le spécialiste, « nous devons nous adapter.” avance-t-il. Selon Eva Brückner, la cybersécurité regroupe deux aspects distincts: « Les entreprises développent d’un côté des produits cyber, et de l’autre, elles doivent protéger leur propre informatique face à la montée des cyberattaques ». De quoi offrir également de très nombreuses possibilités d’emploi dans le secteur.






