Destinations au banc d'essai
Auberge Gutshof: Un bout de France en Saxe
Des petits morceaux de France, il y en a partout en Allemagne – même au plus profond de la Saxe, à la frontière avec la République tchèque, où l’on préfère dépenser son argent dans une grosse berline que dans la bonne bouffe. Là, il y a l’Auberge Gutshof. On y parle français avec un léger accent de l’Est, et les tartes flambées y sont à tomber.

En arrivant à l’Auberge, le soleil brille, un miracle au milieu de cet été pluvieux. La façade bleue roi du bâtiment tranche avec le vert du potager, où l’on aperçoit herbes aromatiques, groseilles et mûres. Tina Weßollek, 46 ans, est à la tête de l’Auberge Gutshof depuis 2005. Cheffe de formation, cette amoureuse de la France s’est créé son petit paradis à l’orée de la forêt, tout au bout de la ville de Bischofswerda, en Saxe. « Rien n’est laissé au hasard ici, explique la gérante. Les couleurs du drapeau français dominent, mais on ne les remarque pas. » Et c’est vrai. Les nappes, les rideaux, les lampes en terre cuite, fabriquées en Alsace, sont bleues – les fleurs du jardin sont rouges et les murs, blancs. On ne sait plus vraiment où l’on est. Et c’est le but. Au mur, une carte des vins de France, des tableaux des champs de lavande, une photo du Mont St Michel. Dans la vitrine, des rillettes, du calvados, des confitures d’orange.
L’Auberge de Tina est l’un des établissements français « les plus connus d’Allemagne. Les gens viennent de Hambourg, de Dresde, de Berlin pour déguster ma cuisine » sourit-elle, fière. Elle est à la tête de la branche allemande de Logis Hôtel, un groupement d’hôteliers indépendants. Tina voyage donc souvent et adapte ses recettes aux tendances: « Je propose une carte végétarienne, et quelques plats vegan. La seule chose que je n’ai pas, ce sont des plats sans gluten – ce n’est pas possible avec la cuisine française! » rit elle.
Une envie de partir
Tina Weßollek a grandi en RDA, avec ses parents employés dans le secteur de l’agriculture et du textile. Elle a toujours vécu à Bischofswerda. « Petite, j’allais faire les courses avec ma mère. Le mercredi, on savait qu’il y avait du yaourt en rayon, alors on y allait tôt. Parfois, on s’achetait de l'”ananas de l’est” – autrement dit, de la citrouille », explique t-elle. A 15 ans, alors que le Mur est tombé depuis cinq ans et que ses parents tentent une reconversion professionnelle dans l’hôtellerie, Tina fait un stage dans un restaurant aux inspirations françaises, non loin de chez elle. « Et là, c’est la révélation. En voyant ce chef tout faire maison, connaissant les goûts jusqu’à celui de chaque herbe aromatique, j’ai su que je voulais être cheffe pour un restaurant français. » Elle postule donc à une formation via l’université de Dresde, ville jumelée avec Strasbourg – et atterrit dans les cuisines du restaurant Au Cygne, à Eschau en Alsace. Elle y restera trois ans, pour apprendre à cuisiner et à tenir un établissement. Le seul hic: elle ne parle pas français. « J’ai eu de la chance: comme on était en Alsace, mon chef parlait allemand. Mais un jour, il m’a dit “Tina, à partir d’aujourd’hui, c’est français!” Alors je m’y suis mise pour de bon. » De retour à Bischofswerda, Tina reprend le restaurant de l’auberge de ses parents, et en deux ans et demi à peine, supprime tous les plats allemands de la carte. « Chez moi, on ne sert pas de Schnitzel ! » En 2005, elle fait agrandir sa cuisine, ajoute une seconde salle pour le petit-déjeuner et surtout, fait installer un énorme four à flammenküche, sa spécialité.
Les stigmates de la brutale chute de la RDA
A 200 mètres de l’auberge Gutshof vit Holm Große, maire sans étiquette de la ville de 11.000 âmes. « La seule chose qui nous relie à la France, à part l’Auberge Gutshof bien sûr, c’est Napoléon, raconte l’élu. En 1813, il est passé par Bischofswerda et, on ne sait pas trop pourquoi, mais lui et ses soldats ont brûlé la ville. Il ne nous reste plus qu’un clocher. Mais on ne lui en veut plus, c’est du passé ! » sourit l’élu, visiblement très attaché à sa commune.
En revanche, c’est un souvenir plus récent qui continue de travailler la région, celui de la brutalité de la réunification allemande pour certains. Car la Saxe est désormais devenue synonyme de la poussée de l’extrême-droite allemande, nourrie de ce ressentiemnt: le parti AfD a recueilli 49,7 % de voix aux dernières législatives. Holm Große, lui, le voit, et tente de comprendre comment on a « pu en arriver là. (…) Il faut imaginer qu’en 1990, Bischofswerda vivait de la vente de moissonneuses-batteuses. Lors de la réunification, tout a été privatisé. (…) Et en deux ans seulement, l’usine a fermé, et les ouvriers se sont retrouvés sur le carreau. »
Un morceau de France
Aujourd’hui, Tina est responsable de tout, à l’auberge. Elle accueille, nettoie, prépare les lits, s’occupe des livraisons, va acheter des fleurs et du pain. Et surtout, elle cuisine au restaurant « Le Bonjour »: des flammenküche, donc, mais aussi du canard à l’orange, du coq au vin, des galettes bretonnes, des escargots. Dans la saison creuse, elle organise des soirées à thème: raclette, bouillabaisse, crêpes, cassoulet… Depuis 25 ans, Tina s’emploie à amener la cuisine française dans la vie des gens de la région. Via des cours de cuisine ou des ateliers. « Imaginez-vous, les gens ici ont grandi dans une dictature, et donc, dans la privation. » explique t-elle. Elle met un point d’honneur à tout faire maison, avec des produits régionaux, et quand elle le peut, français. « Tous mes légumes viennent de la région, le pain je l’ai à la boulangerie voisine, même mon muesli est régional. » Puis il y a les fromages français, le camembert au lait cru de Normandie, les huîtres parfois. Une logistique pas toujours facile, puisque Bischofswerda est située à 750 kilomètres de la frontière française. Au plus grand plaisir de Luc, un Français vivant à quelques kilomètres de là. Avec sa femme, ils viennent au restaurant de Tina de temps en temps: « Cela me fait du bien, car je n’habite pas forcément en Allemagne par choix. Ses plats me rappellent mon pays, mon enfance dans le Sud-Est. »
En plus du restaurant, Tina a repris l’auberge de ses parents. Neuf chambres au charme quelque peu désuet, chacune sur un thème différent. On s’y sent bien, ça sent le bois et la lavande. « Dans la semaine, j’ai pas mal de clients en voyage d’affaires. » Mais le weekend, ce sont surtout des touristes, des randonneurs ou des cyclistes, qui après une journée d’effort, se réjouissent de déguster un bon filet de loup de mer accompagné de son risotto. Au son d’une chanson de Brassens.
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