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Et si la France apprenait à se comparer?

En France, nous avons une passion nationale : parler de la France.

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Français à l'étranger: et si on passait des « expats » à la diaspora?

Nous débattons entre nous, nous réformons « à la française », nous invoquons volontiers « l’exception française », comme si notre pays restait condamné à inventer seul ses solutions, indépendamment de ce qui fonctionne ailleurs. Nous faisons notamment appel à nos hauts fonctionnaires, dont la créativité en matière de nouvelles normes et impôts est, il est vrai, sans pareil !

Mais cette croyance n’est pas seulement une posture culturelle ; elle a des effets politiques très concrets. Elle nous prive d’un outil décisif de modernisation : le benchmark international.

L’exception française… au risque de l’exception d’efficacité

Depuis des décennies, l’« exception française » est au cœur du récit national : singularité culturelle, modèle social « unique », méfiance envers les « modèles étrangers », en particulier anglo-saxons. Les travaux sur cette notion montrent qu’elle est devenue, au fil du temps, plus un réflexe de défense qu’un projet d’influence.

Cette tentation de l’entre-soi se nourrit aussi de barrières très prosaïques. La France n’occupe qu’un rang moyen dans les classements internationaux de maîtrise de l’anglais : l’EF English Proficiency Index 2024 classe notre pays au 38ᵉ rang mondial, avec un niveau jugé seulement « modéré », loin derrière les voisins néerlandais ou scandinaves. Quand les décideurs, les hauts fonctionnaires, les journalistes lisent difficilement dans la langue de la plupart des études internationales, la tentation est forte de rester dans le confort du débat domestique.

S’ajoute une faiblesse institutionnelle : la culture de l’évaluation indépendante et de la comparaison est arrivée tard en France. France Stratégie rappelle que l’essor des évaluations d’impact y est récent, et que l’Institut des politiques publiques (IPP), créé en 2012, l’a été explicitement sur le modèle de l’Institute for Fiscal Studies britannique pour rattraper ce retard. Autrement dit, nous avons longtemps préféré la joute idéologique à la mesure comparative des résultats.

Quand le benchmark devient une stratégie de développement

Pendant ce temps, d’autres pays ont fait du benchmark une méthode de gouvernement. Au sein de l’OCDE et de l’Union européenne, les exercices de « benchmarking & peer review » sont devenus des outils centraux pour comparer les politiques publiques – en matière d’éducation, de fiscalité, de sécurité routière, de climat – et identifier les meilleures pratiques.

Prenons un exemple souvent cité : l’Irlande. Ce petit pays, longtemps pauvre, a construit sa stratégie de développement sur une ouverture assumée et une observation systématique de ce qui fonctionne ailleurs : fiscalité attractive mais lisible, environnement pro-investissement, politiques d’éducation alignées sur les besoins des multinationales, diplomatie économique « benchmarkée » en permanence sur les économies les plus dynamiques. Les rapports de l’OCDE soulignent le rôle de ce cadre institutionnel stable, inspiré de bonnes pratiques étrangères, dans l’attraction des investissements et la montée en gamme de l’économie irlandaise.

Résultat : en 2024, le PIB par habitant de l’Irlande, mesuré en parité de pouvoir d’achat, était environ 110 % au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, quand la France se situait légèrement en dessous de cette moyenne. Le taux de chômage irlandais oscille autour de 4–4,5 %, soit l’un des plus faibles de l’UE. Bien sûr, les chiffres irlandais sont biaisés par la présence de multinationales, mais la trajectoire reste éloquente : un pays qui se regarde moins le nombril, et davantage les tableaux comparatifs, finit par créer davantage de richesse et d’emplois.

Un autre exemple impressionnant est celui des Emirats Arabes Unis – Leur modèle principal est Singapour, dont ils ont largement copié la recette du succès avec notamment l’aide de consultants, avec les mêmes effets : Un développement économique et social spectaculaire !

On pourrait citer d’autres exemples : les pays nordiques qui ajustent leurs modèles sociaux en s’inspirant mutuellement, le Canada qui compare systématiquement ses performances en immigration et en éducation, ou encore le Maroc, qui a bâti une stratégie diaspora et d’attractivité en observant ce qui se fait de mieux ailleurs avant de le traduire dans ses propres politiques.

Les Français de l’étranger, champions naturels du benchmark

Or la France dispose d’un atout considérable pour sortir de cette culture de l’auto-référence : ses Français de l’étranger.

Ils sont environ 1,7 million inscrits au registre consulaire au 1ᵉʳ janvier 2025, probablement près de trois millions en réalité, si l’on inclut ceux qui ne s’inscrivent pas. Ces Français de l’étranger sont enseignants au Maroc, ingénieurs en Allemagne, entrepreneurs au Canada, cadres à Singapour ou infirmières à Londres. Ils vivent au quotidien des systèmes scolaires, de santé, de transport, des marchés de l’emploi et du logement différents du modèle français – et peuvent en mesurer, très concrètement, les forces et les faiblesses.

En ce sens, ils sont des « capteurs de benchmark » uniques : ils savent ce qui fonctionne mieux ailleurs, ce qui fonctionne moins bien, ce qui pourrait être transposé en France et à quelles conditions. Encore faut-il que le pays accepte de les écouter, non comme des donneurs de leçons, mais comme une ressource stratégique.

L’IFE : organiser cette intelligence comparative

C’est précisément l’ambition de l’Institut des Français de l’étranger (IFE), think tank créé en 2024. L’IFE se donne pour mission « d’apporter le meilleur du monde pour inspirer la France » en réalisant des benchmarks internationaux de politiques publiques, dans tous les domaines – société, économie, familles, éducation – en s’appuyant sur la communauté des Français résidant à l’étranger

Concrètement, l’IFE identifie une question de politique publique – par exemple les politiques familiales, l’organisation du système scolaire, ou encore la prise en charge de la dépendance – puis analyse comment d’autres pays y répondent, quels résultats ils obtiennent, quels compromis ils acceptent. Il enrichit cette analyse de témoignages de Français résident sur place qui valident la « transposabilité » de ces politiques dans un contexte français. Il met ensuite ces analyses à disposition des médias, des parlementaires, des collectivités, pour nourrir le débat français par des comparaisons factuelles plutôt que par des slogans.

Son site, https://ife-institut.org/, recense ces travaux et illustre une conviction simple : la France n’est « plus le phare du monde », mais elle peut redevenir un pays de pointe si elle accepte de regarder ce qui se fait de mieux ailleurs pour se réformer intelligemment.

De l’exception à l’exigence

Promouvoir la culture du benchmark, ce n’est pas renoncer à notre modèle. C’est accepter de le confronter au réel : si un pays obtient de meilleurs résultats que nous en matière d’emploi des jeunes, de réussite scolaire, de sécurité ou de transition énergétique, alors la moindre des choses est d’aller voir ce qu’il fait différemment – et de se demander pourquoi nous ne le faisons pas.

Les Français de l’étranger sont aux premières loges pour porter cette exigence. Ils savent qu’on peut aimer profondément la France tout en reconnaissant qu’elle n’a pas le monopole des bonnes idées. À nous, collectivement, de transformer leur expérience en levier de réforme.

Réhabiliter la valeur du benchmark, c’est sortir d’une exception française imaginaire pour entrer dans une exigence française bien réelle : celle de comparer, d’apprendre et de s’améliorer. Et sur ce chemin, notre diaspora et l’IFE sont des alliés précieux.

NB : L’IFE recrute des relais partout dans le monde, si le projet vous intéresse envoyez leur un email à contact@ife-institut.org

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