Tribune
Contre l’impôt universel !
Il faut avoir la mémoire longue pour reconnaître les vieilles lunes quand elles repassent au Parlement. La « taxation au passeport » — rebaptisée « impôt universel ciblé » — en fait partie.
Taxer les Français de l’étranger, une mauvaise idée qui revient régulièrement
Dans la nuit du 24 au 25 octobre, un amendement déposé par Éric Coquerel (LFI) visant à imposer certains Français partis vivre dans des pays à fiscalité faible a été débattu lors de l’examen du projet de loi de finances 2026. Il a été rejeté de justesse, à une voix près (132 contre 131 …. sur 577 députés), LFI, le RN et les Écologistes votant pour, quand le gouvernement, LR et la majorité présidentielle ont voté contre et que les socialistes se sont abstenus.
C’est un clivage inhabituel, et éclairant : une partie de la gauche et l’extrême droite convergent ici vers une fiscalité par nationalité, quand le centre et la droite parlementaire restent attachées à la règle internationale fondée sur la résidence.
Que prévoyait le texte ? D’instiller en droit français un principe d’imposition fondé non plus sur la résidence fiscale, mais sur la nationalité (ou une durée de résidence passée), en visant les contribuables partis vers des juridictions « à fiscalité avantageuse » et aux très hauts revenus — au-delà d’environ 230 000 € annuels (cinq fois le plafond de la Sécurité sociale).
Autrement dit, une France à la mode américaine où l’impôt suit le passeport.
La France – Encore une fois à la pointe de l’innovation fiscale!
L’ordre fiscal international repose, depuis des décennies, sur la résidence (et la source de revenus), pas sur la nationalité ; c’est l’esprit des modèles OCDE/ONU et des conventions bilatérales qui structurent la fiscalité mondiale et empêchent la double imposition.
Seuls deux pays — les États-Unis et l’Érythrée (sic) — pratiquent réellement une imposition générale fondée sur la citoyenneté. Ce n’est pas un hasard si la communauté internationale s’en écarte : le résident finance les services publics dont il bénéficie effectivement.
Par ailleurs seuls les Etats Unis ont été capables de mettre en place ce système du fait de la primauté du dollar. Mais ceux d’entre nous qui résident à l’étranger ont pu mesurer la contrainte énorme que cela faisait peser notamment sur les banques (ah ces fameux formulaires dans lesquels vous devez certifier que vous n’êtes pas américain!)
Les Français de l’étranger paient déjà l’impôt en France
Derrière la posture, un rappel simple : beaucoup de Français établis hors de France restent imposés en France, parce qu’ils conservent des revenus de source française (salaires, pensions, revenus fonciers) ou un bien immobilier en métropole.
À défaut d’opter pour le « taux moyen », ces revenus sont taxés au minimum à 20 % jusqu’à environ 30000€, puis à 30 % au-delà.
À cela s’ajoutent des prélèvements sociaux sur l’immobilier français : depuis la jurisprudence De Ruyter et les réformes qui ont suivi, les non-résidents affiliés à un régime de l’UE/EEE/Suisse sont exonérés de CSG-CRDS mais restent soumis au prélèvement de solidarité de 7,5 % ; hors UE/EEE/Suisse, de nombreux contribuables demeurent exposés au taux agrégé de 17,2 %.
Il faut par ailleurs noter que ces prélèvements sociaux ne donnent aucun droit, notamment à une couverture santé. Cela donne une situation paradoxale dans laquelle des français résidant à l’étranger et payant des charges sociales en France n’ont pas droit à une couverture santé en France, alors même que des étrangers illégaux en France, qui ne paient par définition ni charges ni impôts, ont droit à une couverture santé via l’Aide Médicale d’Etat.
Les Français de l’étranger ne partent pas pour échapper à l’impôt
Par ailleurs, assimiler l’ensemble des français qui partent à l’étranger et gagnent plus de 230000 euros par an à des exilés fiscaux est un raccourci coupable!
Premièrement, la motivation de départ est quasiment toujours autre que l’optimisation fiscale. Les données disponibles montrent des trajectoires motivées d’abord par le travail et la famille : 62 % partent pour des raisons professionnelles, 21 % pour des raisons familiales, et moins de 3 % pour des motifs fiscaux.
Deuxièmement le seuil de 230000 euros par an, qui fait rentrer dans la catégorie ultra-riche de LFI (et dont je vous fais le pari qu’il sera rabaissé année après année) ne correspond pas à celle des personnes qui s’exilent pour des raisons fiscales. En effet les français de l’étranger sont souvent des personnes très qualifiées (DG de filiales de groupes français, entrepreneurs etc) qui s’installent dans des pays dans lesquels la vie est chère (Suisse, Royaume Unis, USA, Singapour etc) et pour lesquels une rémunération à ce niveau ne correspond pas à l’image du rentier exilé fiscal qui paresse sous les cocotiers!
Si l’on paie, on doit aussi recevoir : la question des prestations
Enfin, proposer de taxer sans offrir de prestations en contrepartie est simplement une spoliation!
Si la France prétendait imposer ses nationaux non-résidents sur des revenus mondiaux au seul motif de la nationalité, alors il faudrait aligner les prestations : portabilité renforcée de droits sociaux, accès facilité à la protection maladie (cotisations CFE prises en charge par l’Etat par exemple) et aux allocations contributives, droits à la retraite calculés et servis sans friction, reconnaissance pleine et entière des contributions (cotisations et impôts) payées à l’étranger.
À défaut, on créerait une citoyenneté à deux vitesses : contribuables partout, ayants-droit nulle part.
Un impôt pour dissuader les départs ? Une atteinte aux libertés!
Enfin les parlementaires ainsi que l’économiste Gabriel Zucman proposent une “exit tax” visant à dissuader les Français de quitter le pays. Elle taxerait notamment les plus values latentes au jour du départ. Concrètement si vous avez investi dans des actions pour une valeur de 50000€ et qu’au jour de votre départ elles valent 70000€ vous serez taxé à l’impôt sur la plus value sur les 20000€ de gain.
Or taxer pour empêcher de partir est une pente dangereuse. La liberté d’aller et venir, de travailler et d’investir où l’on veut, fait en effet partie des libertés fondamentales en économie ouverte.
Décourager les mobilités par l’impôt, c’est in fine appauvrir la France : moins de talents circulants, moins d’affaires pour nos PME, moins de soft power — bref, une perte sèche de compétitivité et d’influence.
Des solutions utiles, plutôt qu’un symbole coûteux
Plutôt que de brandir un impôt idéologique, faisons ce qui marche :
- Simplifier et sécuriser la fiscalité des non-résidents
Clarifier l’application du taux moyen, lisser les effets de seuil, accélérer les remboursements de retenue à la source et stabiliser la doctrine. Des milliers de foyers subissent aujourd’hui une complexité inutile, sans gain pour le Trésor. - Miser sur la réciprocité des prestations
Conditionner toute extension de l’assiette (si elle devait revenir) à des droits clairement portables : santé (CFE), retraite, formalités consulaires digitalisées et services éducatifs. L’impôt sans prestation est une rupture du contrat civique! - Activer la puissance de la diaspora
Traiter nos « expats » comme une diaspora — réseau d’affaires, d’éducation et d’influence — plutôt que comme des suspects fiscaux. L’Irlande, l’Inde ou le Maroc montrent combien un État gagne à engager ses ressortissants de l’étranger comme relais de croissance et d’investissement. - Combattre l’optimisation agressive là où elle se niche
L’outil pertinent n’est pas l’impôt par nationalité, mais la coopération internationale : échange automatique d’informations, conventions anti-abus, lutte contre les montages opaques.
La tentation de taxer « parce qu’ils sont partis » flatte un réflexe de sanction. Elle trahit aussi un malentendu : les Français de l’étranger ne tournent pas le dos à la France, ils l’emmènent avec eux. Fiscalement, beaucoup paient déjà ; civiquement, ils contribuent au rayonnement du pays.
Si l’on veut davantage de recettes, il faut plus d’activité et de liens — pas moins de liberté. L’impôt doit être l’expression d’un contrat, pas d’une réprimande. À ce prix-là, la France gagnera à rester ouverte… et fière de ses enfants du large.
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