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Français à l’étranger: et si on passait des « expats » à la diaspora?

En France nous avons l’habitude d’appeler « expats » ceux qui, par goût d’aventure ou par nécessité, ont choisi de vivre hors de l’Hexagone. Le mot sent la parenthèse : on part, on revient, on reste fondamentalement Français de France.

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Français à l'étranger: et si on passait des « expats » à la diaspora?

Pourtant, au fil des ans, une autre réalité s’est installée. La communauté française hors de nos frontières s’est structurée, s’est dotée de ses propres relais, cultive une identité métissée et, surtout, tisse une toile de liens économiques, culturels et politiques avec le pays d’origine. Bref, elle ressemble de plus en plus… à une diaspora. Cette prise de conscience change tout !

Une diaspora est d’abord un réseau

Ni une minorité figée dans la nostalgie, ni la simple somme d’individus isolés, mais un réseau transnational capable de mobiliser son expertise, son capital et son influence au service d’un centre d’attache. Les Irlandais de Boston, les Marocains de Paris ou les Indiens de Dubaï ne se considèrent pas comme des « expats » en transit : ils sont parties prenantes d’une communauté mondiale, dotée d’outils de représentation, de financements dédiés et d’un récit partagé. La différence tient dans l’intention : gérer une diaspora, c’est passer de la consanguinité administrative au projet politique. Regardons les chiffres tricolores. Au 1er Janvier 2024, 1 700 00 compatriotes étaient inscrits au Registre des Français établis hors de France ; ils sont 1 742 000 au 1ᵉʳ janvier 2025, soit une hausse de 2,9 % en un an. L’inscription étant volontaire, les estimations réelles tournent plutôt autour de trois millions. Autant dire une métropole invisible de la taille d’une région française ! S’y ajoutent les enfants binationaux, les alumni des lycées français, les « francophiles fonctionnels » qui ont gardé un passeport culturel sinon administratif : un écosystème bien plus vaste que nos registres consulaires. Certains autres pays ont su tirer tout le profit d’une gestion de leur diaspora.

Prenons l’Irlande. Conscients qu’ils comptent près de 70 millions de descendants à travers le monde pour cinq millions d’habitants sur l’île, les gouvernements irlandais ont bâti dès 2010 une diplomatie du lien. Le plan Global Ireland – Ireland’s Diaspora Strategy 2020-2025 ne se contente pas de subventions culturelles ; il prévoit un fonds annuel de 13 M€ pour soutenir les projets communautaires et des programmes de retour de talents. Résultat : lorsqu’il faut lever des fonds, attirer des investisseurs ou promouvoir une start-up, les « Global Irish» répondent présents. L’île a fait de sa diaspora un multiplicateur de puissance douce.

L’Inde, de son côté, déploie des moyens autrement plus massifs. Le ministère des Affaires extérieures possède une division entière consacrée aux 32 millions de Non-Resident Indians. Ils organisent par exemple la Pravasi Bharatiya Divas, grand-messe annuelle des diasporas. Ils émettent aussi des obligations d’État souscrites par les Indiens de l’étranger, qui ont financé routes et centrales électriques. New Delhi traite sa diaspora comme une classe d’actifs stratégiques. Les envois de fonds dépassent 100 milliards de dollars par an, davantage que les investissements directs étrangers entrants.

Longtemps pays d’émigration, le Royaume chérifien a, de son côté, érigé ses Marocains résidant à l’étranger (MRE) en priorité nationale : la communauté atteint environ 5 millions de personnes, soit près de 15 % de la population d’origine. Les initiatives sont nombreuses. Ainsi l’opération Marhaba 2025 mobilise 60 000 personnes et 29 navires pour fluidifier le transit de 3,5 millions de voyageurs entre juin et septembre. De même en mai 2025, Rabat a annoncé une unité de liaison entre investisseurs MRE et Centres régionaux d’investissement, adossée à une plateforme multilingue. Sur le plan institutionnel le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), constitutionnalisé en 2011, suit et évalue la politique publique dédiée aux MRE. Enfin le Royaume stimule les transferts financiers de la diaspora vers le Maroc, ainsi les transferts ont franchi (11,4 Md €) en 2024 et devraient atteindre les 12Md€ en 2025. Le Maroc démontre qu’un dispositif d’accueil empathique, une gouvernance dédiée et des produits d’investissement ciblés peuvent transformer la diaspora en atout macro-économique.

Que peut-on en déduire pour la France ? Traiter nos expatriés comme une diaspora n’a rien de chauvin ; c’est un investissement.

Imaginons un Ministère de la Diaspora Française à l’Etranger, dont la mission est de structurer notre communauté à travers le Monde. Qui couvrirait les sujets économiques, notamment le commerce extérieur, mais aussi l’éducation, la diplomatie culturelle, l’intelligence économique ou encore les services consulaires. Qui aurait pour but de stimuler les échanges dans les deux sens entre la métropole et ses expatriés… pardon, membres de la diaspora. Une communauté qui se structure autour d’une véritable marque France. Qui rende à la France ce que la France lui a donné. En transférant des liquidités. En stimulant les échanges culturels et politiques entre la métropole et leur pays d’accueil. Qui agisse comme un vrai levier de « soft power ».

Parler de diaspora, c’est reconnaître le rôle d’ambassadeurs informels joué par nos compatriotes. Quand une école française ferme, c’est un pan d’influence qui s’étiole. Quand un entrepreneur français réussit en Australie, c’est un pont d’affaires qui se crée pour nos PME. Pourtant, aucune autorité unique ne cartographie ces talents, ne les relie aux territoires français en quête de débouchés, ne valorise leur retour – même ponctuel – dans nos universités et incubateurs.

La France aime les concepts. Celui-ci est plus qu’un mot : c’est la clé d’une diplomatie du XXIᵉ siècle, où la puissance se mesure à la densité de ses réseaux. Nos compatriotes éparpillés ne demandent qu’à contribuer – encore faut-il leur offrir la structure et le récit.

Le Journal des Français à l’Etranger compte jouer un rôle dans ces échanges ! Cesser de parler d’expatriés, assumer notre diaspora : voilà le pas symbolique à franchir. Le jour où nous le ferons, la question ne sera plus « quand rentres-tu ? », mais « comment restons-nous liés ? ». La réponse, elle, profitera à tous – à ceux qui partent, à ceux qui reviennent, et à la France qui, sans bouger d’un centimètre, rayonnera bien au-delà de ses frontières.

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