Actualités économiques
Cédric Filet : « Le Brexit a déclenché un attrait pour l’Afrique »
Chaque semaine, le site Français à l’étranger, en partenariat avec le Cercle d’outre-Manche, discute du Brexit avec un dirigeant français actif au Royaume-Uni. D’après Cédric Filet, fondateur de la société de recrutement Aldelia, le Brexit pourrait renforcer les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Afrique.
Pouvez-vous vous présenter ?
Cédric Filet : Je suis arrivé en 2003 au Royaume-Uni. Depuis, j’ai aussi résidé au Brésil, au Portugal mais je suis finalement rentré à Londres en 2016. Je passe cependant la majeure partie de mon temps en Afrique car mon entreprise Aldelia, spécialisée dans la gestion des ressources humaines, le portage salarial et le recrutement, est présente dans 16 pays à travers le monde dont 12 sur le continent africain. J’ai choisi de placer notre siège à Londres car il s’agit d’une ville à la fois centrale et accueillante. Créer une société ici n’est pas trop compliqué. Via Londres, nous prévoyons de développer notre présence dans 20 à 25 pays d’ici les deux prochaines années. Nous aidons déjà des grands groupes tels BP, Shell, Total, Coca-cola, Microsoft, Heineken, Saint-Gobain ou Cisco à se développer en Afrique. Nous commençons par ailleurs à accompagner d’importantes PME et même des sociétés de FinTech.
Nous sommes en outre en train de développer une application mettant en relation nos talents et nos clients. Nous envisageons d’avoir entre 15 et 20 millions de personnes qualifiées sur cette future plateforme.
Quel impact a eu, jusqu’à présent l’annonce du Brexit sur votre entreprise ?
C.F. : Pour l’instant, il n’y a pas eu d’impact mais surtout des incertitudes sur lesquelles nous ne sommes pas forcément inquiets. Il faut les analyser et nous prendrons des décisions une fois que nous connaitrons précisément les lois et les décrets.
Positivement pour nous, le Brexit a déclenché un attrait pour l’Afrique. Le gouvernement britannique a très bien compris les opportunités présentes sur le continent africain et met les bouchées doubles pour y lier des relations commerciales et politiques, comme avec l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigéria ou le Ghana. L’Afrique représente une population de 1,3 milliards de personnes, dont 50% ont moins de 20 ans. Plus de 120 millions de personnes vont entrer sur le marché du travail d’ici 2020-2022, il s’agit donc d’un gros potentiel, avec de la main d’oeuvre peu chère, de plus en plus qualifiée et des matières premières déjà sur place. Le Royaume-Uni s’intéresse aussi aux pays francophones. Le gouvernement britannique a mis en place, pour la première fois, une ambassadrice spécifiquement dédiée à l’Afrique qui est présente à tous les évènements.
Très offensif, le Royaume-Uni a surtout organisé fin janvier le «UK-Africa Investment Summit», un grand sommet britannico-africain qui a eu un grand succès. Ce type de sommet n’existait pas avant l’annonce du Brexit. Je pense que l’Angleterre pourrait à terme devenir une plateforme pour se développer sur le continent, et le Brexit, selon moi, va accélérer cette tendance.
Quelles mesures avez-vous prises suite à l’annonce de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne?
C.F. : Nous avons surtout demandé à toute notre équipe de prendre le « settlement status », par sécurité. Mais, aujourd’hui, compte tenu de notre croissance, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre trop de temps sur le Brexit. Nous assurons surtout nos arrières et nous sommes prêts. En fonction de l’évolution de la situation, nous pourrions, par exemple, choisir d’être physiquement dans un autre pays et de conserver notre siège ici. Nous avons créé 25 sociétés en 15 ans à travers le monde, du Kurdistan au Brésil en passant par le Mozambique, le Tchad…Nous sommes agiles et nous nous adapterons.
Quelles sont vos craintes liées au Brexit ?
C.F. : Une des questions que nous nous posons concerne les banques de développement allemandes ou européennes. Vont-elles continuer à prêter aux sociétés britanniques ? Si ce n’est pas le cas, nous serons clairement impactés pour nos futures levées de fonds. Actuellement, la Banque Européenne de Développement ne représente pas une grande partie de nos fonds, nous avons développé en fonds propres puis nous avons fait une levée de fonds l’année dernière avec un fonds britannique spécialisé sur l’Afrique, mais nous avons aussi été approchés par des banques de développement allemandes. Elles ont aussi un gros attrait pour l’Afrique.
Comment percevez-vous la stratégie du premier ministre britannique Boris Johnson ?
C.F. : Le problème est qu’on ne connait pas ses limites, on ne sait pas jusqu’où il peut aller. Il n’a pas grand chose à perdre. Il n’était pas censé être élu. Son choix du Brexit selon moi, était uniquement politique. Aujourd’hui, il a les pleins pouvoirs au Parlement et il a une image qui s’améliore. C’est le « cheval blanc » vis à vis de l’Europe pour les Anglais car il est très « Britain first ». C’est à la fois le politique et le populiste. Il joue sur tous les tableaux, il est très intelligent. Personnellement, je suis tout sauf un Brexiter, je trouve ça complètement réducteur de sortir de l’Europe.
Il sera difficile de négocier avec lui si on ne joue pas sur son terrain. Il n’a pas grand chose à perdre puisqu’après il s’en ira, comme l’ex-premier ministre David Cameron qui avait mis en place le référendum puis était parti ou Nigel Farage qui s’était battu pour le Brexit puis avait pris la nationalité allemande. Même s’il nous amène dans le mur, qu’est-ce qu’il a à perdre ? Rien, et ça c’est dangereux.
Quand est-il du Brexit face à la crise sanitaire liée au coronavirus ?
C.F. : Je pense que l’immigration est importante. Couper l’immigration est un danger. L’Angleterre a besoin de l’immigration, tout le monde a besoin de migrants, a besoin de sang neuf, a besoin de mélange. Je pense que l’Afrique est l’avenir de l’Europe en terme d’économie, de démographie et d’écologie. Tout est lié. Aujourd’hui, le Brexit a été éclipsé par le coronavirus mais la problématique africaine reste la même. Nos destins sont étroitement liés, encore plus aujourd’hui.
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