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Alain Mabanckou: « Chaque écrivain a une géographie romanesque, souvent liée à son territoire d’enfance »

Littérature, danse, peinture, théâtre : il n’y a pas que dans l’Hexagone que l’inspiration fuse ! Aux quatre coins du monde, des Français s’épanouissent dans leur art et permettent à la France de rayonner à l’étranger grâce à leurs œuvres. En partenariat avec l’Institut français, découvrez chaque mois l’un de ces artistes sur notre site. Ce mois-ci, l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou évoque l’influence de sa double nationalité sur son œuvre.

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Alain Mabanckou

Français à l’étranger : En tant que Franco-congolais, comment puisez-vous dans cette double identité pour écrire ?

Alain Mabanckou : Avoir la double-nationalité franco-congolaise a enrichi mon univers romanesque, sachant que cette double-nationalité est triplée par mon statut de résident aux États-Unis où je vis depuis vingt ans. J’ai en quelques sortes trois maisons. Mais les deux pays que j’évoque le plus sont le Congo où je suis né et la France, dont j’ai choisi de prendre la nationalité. Dans mon premier livre [Bleu, blanc, rouge, éd. Présence Africaine, 1998], la France et le Congo sont d’ailleurs intimement liés. J’y évoque le désir que ressentent beaucoup de jeunes Congolais de quitter leur pays car ils pensent que la réussite est ailleurs c’est-à-dire en Europe. Sauf qu’une fois sur place, ils sont rattrapés par une difficile réalité aussi bien sociale que financière. C’était vrai lorsque j’ai écrit mon livre et ça l’est encore aujourd’hui. Mais il est toujours compliqué de dire à ces jeunes que ce dont ils rêvent n’existe pas. Si vous leur parlez des difficultés que vous rencontrez en vivant en France ou aux États-Unis, ils vont vous considérer comme un perdant. Ils attendent un discours positif et rien d’autre. On n’a jamais écouté les perdants mais on aime entendre les faux gagnants.

Le Congo reste votre décor de prédilection pour vos romans. Pourquoi ? Et y retournez-vous pour écrire ?

Chaque écrivain a une géographie romanesque, souvent liée à son territoire d’enfance. Marcel Pagnol évoque le Midi de la France, moi le Congo qui est le pays depuis lequel j’ai toujours regardé le monde. Pour écrire, je crois qu’il faut être ancré quelque part. Cela doit être difficile d’être un écrivain sans domicile fixe. Quant à l’endroit où je m’installe pour écrire, il importe peu et j’écris d’ailleurs très rarement sur le lieu où je me trouve. Pas besoin de retourner au Congo pour en parler dans mes livres je me sers de la photographie que j’en garde dans mon esprit. J’ai par exemple écrit près de 400 pages pour Demain j’aurai vingt ans [Gallimard, 2010] sans y retourner, avec l’encre de la nostalgie et du souvenir. Toutes les descriptions des personnages, des quartiers, des bars viennent des souvenirs de mon enfance.

La littérature a-t-elle un rôle à jouer dans les échanges qu’entretient la France avec les pays d’Afrique francophone ?

On a tendance à donner trop de pouvoir à la littérature. Dans un certain nombre de pays africains, une grande partie de la population n’y a pas accès. Beaucoup d’écrivains africains ne trouvent aujourd’hui qu’un public à l’étranger et leur message ne parvient pas à la population de leur pays. Pour qu’ils soient entendus chez eux, ils doivent donc agir en citoyens et prendre part publiquement au débat d’émancipation du continent africain. J’ai pour ma part toujours été critique vis-à-vis des régimes autocratiques et essaie d’utiliser au mieux ma visibilité pour dire ce que pensent ceux qui sont invisibles. J’agis en relayeur, comme si j’avais un haut-parleur pour raconter ce que pensent ceux qui n’ont pas la parole.

Quelle est aujourd’hui la place des institutions culturelles françaises en Afrique ?

Les centres culturels, comme l’Institut français, ont toujours été des lieux d’accès à la culture pour la population. Quand j’étais petit, c’est là que j’allais lire car mes parents n’avaient pas d’argent pour m’acheter des livres. Beaucoup de personnes de ma génération ont peaufiné leur culture dans ces centres. La France devrait, à mon sens, mettre encore plus en valeur ces actions culturelles pour donner un autre angle de vue sur ses relations avec l’Afrique. Cela vaut aussi pour les départements universitaires de langue française à l’étranger qui gagneraient à être davantage soutenus pour continuer à exister et à faire rayonner la langue française à l’étranger.

Dans votre essai Le Sanglot de l’homme noir [Fayard, 2012], vous invitiez les Africains à ne plus ressasser l’époque de la colonisation pour plutôt se forger une nouvelle identité. Comment ?

Je crois que nous avons été éduqués dans la perspective de toujours rechercher les causes de nos échecs dans le passé. Il est vrai que ce passé, de l’esclavage à la colonisation, a fait beaucoup de mal à l’Afrique, mais jusqu’à quand va-t-on l’utiliser comme justification ? Je crois qu’une fois que le bilan des atrocités subies par le continent est dressé, il faut vivre au présent et tendre vers l’existentialisme noir. Si j’avais pensé que, parce que je suis Noir, je ne pouvais pas choisir ma vie, je n’aurais jamais écrit ou enseigné en France et aux États-Unis. Mais cela n’est pas un discours facile à tenir et on m’a même accusé, lorsque j’ai publié Le Sanglot de l’homme noir, d’avoir écrit ce livre pour les Blancs.

Vous avez pu vous montrer critique envers la francophonie institutionnelle. Alors que la France va accueillir le sommet de la francophonie en octobre 2024, qu’en attendez-vous ?

Si j’ai toujours été critique vis-à-vis de la francophonie institutionnelle, c’est parce que parmi les États membres de l’Organisation internationale de la francophonie, il y a beaucoup d’États dirigés par des dictateurs. Par ailleurs, ce sommet est politique et n’associe pas vraiment les populations. Je milite pour une francophonie populaire : ce sont les citoyens des pays francophones qui devraient voter pour choisir les responsables de cette organisation.

Zoom sur l’Institut français

Acteur essentiel de la politique culturelle extérieure de la France, l’Institut français est placé sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture. Il assure deux missions fondamentales : 

  •     promouvoir la culture et la langue françaises dans le monde;
  •     œuvrer à la diversité culturelle dans le monde ; 

Pour cela, il travaille très étroitement avec le réseau culturel français à l’étranger dont il vise notamment à amplifier l’action.

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