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J.H. de Lamaze : « Avec le Brexit, la France a une carte à jouer dans la finance verte »

Chaque semaine, le site Français à l’étranger, en partenariat avec le Cercle d’outre-Manche, discute du Brexit avec un dirigeant français actif au Royaume-Uni. Jean-Hugues de Lamaze, directeur général de la filiale britannique de Tortoise Advisors, présente les risques liés à la perte du “passeport européen” et les opportunités pour la France de s’imposer dans la finance verte.

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Pouvez-vous vous présenter? 

Jean-Hugues de Lamaze : Je vis à Londres depuis 20 ans d’où je dirige la plateforme Ecofin, filiale britannique de l’entreprise américaine de gestion d’actifs, Tortoise Advisors. Ce fonds est l’un des leaders aux États-Unis de l’investissement dans les infrastructures énergétiques et les actifs essentiels, tout ce qui concerne l’électricité, le gaz, l’eau mais aussi les établissements de santé, les écoles… Je suis également conseiller du commerce extérieur de la France et membre actif de think-tanks économiques tels que le Cercle d’Outre-Manche et l’Institut Montaigne.

Mes associés et moi-même avons vendu notre société britannique Ecofin, plateforme d’investissement en énergies propres, en novembre 2018. Cette transaction a été bénéfique pour les deux parties. Pour Ecofin, il s’agissait d’élargir notre potentiel de levée d’actifs et ainsi notre capacité de distribution de nos produits d’investissement. Pour Tortoise, cette transaction leur a permis d’avoir accès à notre expertise en matière de développement durable et de transition énergetique.

Le Brexit vous a-t-il influencé dans votre décision de vendre Ecofin à un groupe américain ?  

J-H.d.L: Le Brexit n’est pas directement lié à la vente d’Ecofin puisque notre ambition était surtout d’intervenir dans le monde entier et donc d’étendre notre sphère d’activité et notre clientèle. Si le Brexit a joué un rôle dans notre décision, il reste accessoire. Le Brexit pourrait cependant avoir un impact significatif : celui de la perte du “passeport européen” qui permet à toute activité financière de Londres de gérer des fonds d’investissement et de les commercialiser dans l’ensemble de la zone européenne. Avec la sortie de l’Europe du Royaume-Uni, il est assez probable que l’Europe retire au Royaume-Uni ce “passeport européen”. Les gestionnaires d’actifs britanniques ne pourront alors commercialiser leurs fonds d’investissements auprès de clients d’Europe continentale qu’à la condition d’avoir une structure juridique domiciliée au sein de la zone euro. Tortoise Advisors n’a pas cette problématique puisque le groupe a déjà une structure en Europe continentale, au Luxembourg. Cette transaction a ainsi aussi trouvé sa rationalité dans l’aide qu’elle nous apporte dans un monde post-Brexit, nous permettant notamment de lancer une gamme de fonds d’investissement appelée UCITS (Undertaking for Collective Investments in Transferable Securities), la forme d’investissement classique en Europe qui permet d’harmoniser les marchés.

Quel serait selon vous les conséquences de la perte de ce “passeport européen” ? 

J-H.d.L : La perte du “passeport européen” est assez vraisemblable. Bruxelles semble aujourd’hui déterminé à le retirer au Royaume-Uni puisqu’il lui était attribué au titre de sa contribution à l’Europe. Sur ce plan là, les négociations vont être compliquées. La perte de ce “passeport européen” serait, a priori, plus difficilement gérable pour les petites et moyennes entreprises que pour les plus importantes. La plupart des grands groupes ont déjà anticipé cette perte en ouvrant des structures sur le territoire européen mais cela est plus problématique pour les institutions financières de taille insuffisante. Celles-ci n’ont en effet pas forcément les moyens de s’offrir de nouvelles structures juridiques.

Nous observons ainsi, depuis l’annonce du Brexit, une forte augmentation d’ouverture de structures au Luxembourg, à Dublin et dans une moindre mesure à Paris et Francfort. Ces structures sont essentiellement établies par des grandes institutions pour qui ouvrir une structure juridique de ce type là est un moindre mal.  Ces structures en Europe continentale permettent de rattacher, par exemple, une force de vente ou des équipes ou d’avoir des produits étiquetés « zone européenne » qui pourront être commercialisés au sein de la zone. Cependant, il arrive parfois que les conditions d’établissements de structure soient plus exigeantes en France ou en l’Allemagne. Il faut prouver une activité réelle et avoir une présence physique d’équipes sur place.

Quel a été l’impact du Brexit sur votre entreprise et votre  secteur ?

J-H.d.L : En ce qui nous concerne, le Brexit a eu presque plus d’impact sur les individus que sur notre entreprise. Le Brexit a eu un effet psychologique significatif pour une partie de la population étrangère au Royaume-Uni habituée à vivre dans un environnement cosmopolite.  Le déménagement progressif des institutions dû au Brexit a en parallèle eu un impact certain sur la City puisqu’il a entraîné une diminution de l’offre d’emploi. Plusieurs banques internationales ont commencé à transférer leurs activités. Les emplois qui ont été supprimés sont pour beaucoup des emplois qui avaient été délocalisés sur Londres au cours des 20 dernières années.

Mais il ne faut pas oublier que la City, avec plusieurs centaines de milliers de personnes, est l’un des plus gros employeurs du Royaume-Uni et le restera certainement.  Londres reste une place internationale avec un tissu entrepreneurial fort aux standards internationaux.  Je ne crois pas tellement en la perte du statut de place financière internationale de Londres après le Brexit.

Le Brexit pourrait-il créer des opportunités ? 

J-H.d.L : J’ai le sentiment qu’il y a une prise de conscience, en France, de l’opportunité autour du Brexit. Je pense que pour l’Europe continentale, et particulièrement pour la France, il y a une véritable carte à jouer. Le Royaume-Uni n’ayant presque pas de concurrence depuis 20 ans, il y aura certainement des parts du marché à gagner. Tout d’abord, il y aura un certain nombre d’emplois qui vont très probablement être rapatriés sur la France, ce qui est d’ailleurs déjà le cas.

Avec ce rapatriement, je pense qu’il y aura notamment une grande opportunité à saisir dans la finance verte et responsable. La place financière parisienne pourrait ainsi développer une vraie spécificité dans ce domaine. Le premier ministre français a d’ailleurs nommé en décembre dernier un député en charge d’une mission d’évaluation sur la finance verte en France, Alexandre Holroyd, le député des français de l’étranger d’Europe du Nord. Je pressens une réelle volonté politique en France d’aller dans ce sens. Cela s’observe dans le cadre législatif français, construit sur une dizaine d’années, initié sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec le Grenelle de l’Environnement de 2007 et largement complété par la loi de transition énergétique de 2015. Cette loi présente un angle « finance verte » puisqu’elle établit des obligations de reporting de la part des grandes institutions financières sur leur activité en termes d’investissements pour la finance verte et le développement durable. Ce reporting est une des particularités françaises qui permet de créer un cadre législatif très incitatif pour le développement d’une finance durable et vertueuse.

Selon moi, le Brexit a créé une brèche là où il y avait un monopole britannique. Il ne faut pas oublier que la France compte certaines des plus importantes institutions financières mondiales. En terme d’établissements bancaires et d’assurances, elle possède un potentiel de gestion d’actifs qui est un des tout premiers d’Europe. Une telle ressource mise au service du développement de la finance verte serait un atout considérable pour notre pays à l’échelle internationale.

Quelles sont vos craintes liées au Brexit ?

J-H.d.L: S’éloigner après 50 ans de construction européenne serait extrêmement dommageable. La dureté des négociations pourrait risquer d’amèner à une forme de rupture sur les plans commerciaux mais aussi culturels. Il peut y avoir une tentation, de la part de la zone européenne, de vivre en autosuffisance et pour les britanniques d’aller « voir ailleurs » et devenir le Singapour européen; mais je ne pense pas que nous en arriverons là. En revanche, on peut imaginer le développement d’un axe entre les États-Unis et le Royaume-Uni. C’est ce qu’on peut craindre pour l’Europe à plus long terme.

Mon souhait est que l’Europe, elle-même, sache évoluer et considère le Brexit plus comme une opportunité de développer de nouveaux accords sur des bases acceptées mutuellement, avec un Royaume-Uni qui resterait fort. Si cet objectif est atteint, l’ensemble des acteurs de chaque côté du Channel en sortira renforcé.

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