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Frédéric de La Mure, photographe et mémoire du Quai d’Orsay

Pendant quarante ans, il a parcouru le monde pour immortaliser les événements diplomatiques mondiaux. En 2019, l’ancien photographe du ministère des Affaires étrangères prend sa retraite, sans arrêter le voyage, mais troquant son Falcon pour une bicyclette. Gros plan sur ce témoin majeur de l’histoire en escale à Paris.

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Frédéric de La Mûre, photographe et mémoire du Quai d’Orsay

À six heures du soir, Frédéric commence à réfléchir où il va dormir. Ce n’est pas une grosse préoccupation : il alterne généralement entre sa tente de bivouac (un kilo !), chez l’habitant, ou dans un hôtel « s’il fait un temps horrible ». Cela ne risque pas d’être le cas ici, en Sicile. Il commence à se lasser des températures du sud, des « endroits qui piquent et du caillou ». Son plan initial, pour ce tour d’Europe à bicyclette, c’était de remonter le Dniepr jusqu’à l’Ukraine. Changement de programme. Même si l’ancien photographe officiel du ministère des Affaires étrangères est à la retraite depuis quatre ans, l’actualité géopolitique le rattrape toujours dans ses projets personnels.

139 pays en 40 ans

Cent trente-neuf pays parcourus entre 1984 et 2019, à couvrir les événements mondiaux dans le sillage des diplomates, ministres et autres chefs d’États. Malgré ce palmarès, Frédéric de la Mure, ou « Fredo », s’attache à la simplicité avec son polo marron, son pantalon droit, ses cheveux qu’il laisse blanchir. Maître de l’euphémisme, il balaie ses rencontres diplomatiques d’un rapide « c’était sympa » et  emploie « et tout » comme synonyme d’une histoire tellement longue qu’on pourrait y consacrer des documentaires entiers. Un « hurluberlu » selon son ancienne voisine et amie Nathalie Dubois, maître des « images volées » et qui a, toute sa vie, entretenu un « travail de hasard » selon ses propres mots.

Et c’est le hasard qui l’a lancé dans la photo. « J’ai commencé très tardivement, après le bac » se souvient-il. Il s’offre son premier appareil en faisant les vendanges près de Bordeaux, un Reflex neuf à 6500 francs. Son labo, c’est une salle de bain improvisée en chambre noire dans la maison de son ami d’enfance à Fontainebleau, Dominique Chapelain. « Nous avons fait ensemble nos premiers tours d’Europe en mobylette » précise son vieux camarade. « Je m’en suis tenu à un hobby, lui en a fait sa carrière ».

D’étudiant en droit à photographe

Au-delà de cette passion, le jeune de La Mure voit rapidement son rêve d’intégrer la marine marchande s’effondrer. « C’était impossible, à cause de mes yeux. ». Le photographe souffre de daltonisme, l’empêchant de voir correctement les lumières en mer. Un secret qu’il gardera de ses collègues jusqu’à son pot de départ en 2019. Il trouve une autre voie : les études de droit. En été, rattrapé par son désir de voyage, il réalise ses premiers tours d’Europe en auto-stop, une aventure qu’il finance en vendant ses photos aux journaux.

Un appel à candidature de l’association France Japon dans les pages du Monde le pousse à soumettre un projet de reportage sur la vie des enfants japonais, et obtient une bourse pour le réaliser. À 23 ans, de la Mure sillonne le pays du soleil levant en auto-stop, « se débrouiller » pour communiquer, généralement par signes, photographie les enfants des villages japonais le tout à la « J’irai dormir chez vous ». Il rit en y repensant. Cet angle de vue humain, à une période où le Japon était surtout connu par son prisme économique, lui vaut une exposition à Beaubourg (L’été des enfants japonais, Bibliothèque publique d’information 1979), un contrat avec Hachette, mais aussi – même s’il ne le sait pas encore – son avenir professionnel.

« Compléter les mots par les images »  

« C’est un membre de jury du concours de l’association de presse France Japon, qui m’a contacté pour me dire que le ministère était à la recherche d’un photographe. » Sélectionné parmi vingt candidats, le jeune photographe s’engage sur le papier à rester à Paris, pour immortaliser les rencontres diplomatiques au ministère. « Son activité routinière était de suivre les ministres : prendre en photo une poignée de main, deux ministres assis sur un canapé… » Mais selon Lionel Bouchy, directeur du pôle audiovisuel du Quai d’Orsay, ses collègues ont vite compris qu’il avait besoin d’exprimer sa créativité en toute liberté. « Il a des intuitions et des idées géniales. »

 « J’ai convaincu les diplomates que leurs mots et mes images se complétaient. » Ses deux premières années en tant que photographe du Quai d’Orsay, Frédéric de La Mure les a passées à sillonner la France, pour en faire la promotion à l’étranger. « Il avait cette intelligence de proposer des sujets en phase avec la stratégie du ministère » explique Lionel Bouchy. C’est pourquoi, lorsqu’il commence ses déplacements à l’étranger, le photographe réalise des reportages valorisant l’action française à l’international. De la « puéricultrice au Groenland » à la « réserve naturelle au Kenya » en passant par « Bouygues en Inde », il a « des milliers d’exemples » de ce long travail.

Les « deux faces » de la diplomatie

Ses reportages prennent aussi la forme du temps long, le « non-stop », comme sa couverture de la guerre des Balkans entre 1990 et 2000. « C’était un vrai sac de nœuds, mais c’était passionnant » se rappelle-t-il. Des négociations diplomatiques avortées entre Serbe et Kosovars dans l’écrin du château de Rambouillet, à Kukës au creux des montagnes albanaises à distribuer de la nourriture aux réfugiés, de la Mure mettait un point d’honneur à observer les objets diplomatiques mais aussi leurs conséquences. Il s’adosse, comme pour conclure : « J’aime cette idée des deux faces : d’un côté, le calendrier calibré des ministres et de l’autre le hasard total. »

 « Quand je faisais mes photos diplomatiques, j’arrivais dans un pays, hop je prenais une photo d’un chef d’État : ça me prenait dix minutes. » Et au lieu de « glander dans une salle d’attente » entre deux photos officielles, de La Mure sortait. Après un bref salut au « type dans sa guérite », le photographe officiel enfilait son costume d’artiste et sautait dans un métro pour capturer le hasard au bout de la ligne. Un décor et son envers qui se reflète jusque dans son apparence : « Une fois, pour un événement, il devait porter une chemise blanche impeccable ; quand il s’est présenté, il n’en avait repassé que le devant, laissant l’arrière froissé. Il a prétendu que c’était la face visible qui comptait » sourit Dominique Chapelain.

« Vivre à une autre vitesse »

Afghanistan, 9 septembre 2001. « C’est là que les galères ont commencé ». L’assassinat du commandant Ahmad Shah Massoud par deux membres d’Al Qaïda déguisés en journalistes secoue le monde diplomatique. Les escapades qui rythmaient les déplacements de Frédéric de La Mure sont compromises : sortir et rentrer dans la « bulle » diplomatique passent de formalité à fouilles systématiques, processus pouvant durer jusqu’à trois quart d’heures. « Ça m’a beaucoup gêné dans ma liberté d’action » regrette-t-il. À ce tournant s’ajoute l’avènement des réseaux sociaux, seul sujet qui arrache un soupir à cet optimiste aguerri. Comme le reste du monde, le Quai d’Orsay est passé des grandes expositions au triste échiquier d’Instagram. « Frédéric a souffert de la taille de l’image, de l’hyper-sophistication des réseaux, des retouches… » se désole Lionel Bouchy. Lui qui aimait la « véracité de l’image », selon son collègue il a retrouvé ses photos publiées sur petit écran, une transition qui a contribué à sa retraite anticipée en 2019.

Désireux de « vivre à une autre vitesse », après avoir passé une vie dans « le transport le plus rapide » de la Mure se tourne vers « le transport le plus lent » pour son tour d’Europe. Son doigt trace une carte imaginaire sur la table du café : « J’ai d’abord fait tout le rideau de fer à bicyclette. Je suis allé à Lübeck en Allemagne, et je suis descendu jusqu’à Trieste en Italie en passant par les pays de l’Est ». Deux mois par an, il parcourt entre 70 et 100 kilomètres par jour, entre conférences, expositions, rencontres et tente de bivouac.

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