Destinations au banc d'essai
Témoignages : Ces Français qui ont lancé leur entreprise à Dubaï, Doha ou Riyad
Ils ont entre 21 et 50 ans, travaillent dans la tech, la santé ou le conseil, et se sont installés au Qatar, à Dubaï et en Arabie saoudite. Julie Barbier, Paul Darmas et Christophe Billiottet incarnent des trajectoires différentes — femme entrepreneure pionnière en Arabie, jeune consultant débarqué seul à Dubaï, dirigeant arrivé en famille à Doha. Tous racontent comment ils ont choisi le Golfe, comment ils s’y sont implantés, et pourquoi, malgré les difficultés, aucun ne regrette cette aventure.

Pourquoi partir : motifs personnels et opportunités économiques
Les raisons qui poussent à s’expatrier dans le Golfe mêlent souvent projet de vie et calcul professionnel. Pour certains, le déclencheur est lié à la famille ou au hasard : « Je n’ai pas choisi le Qatar, il est venu à moi », résume Christophe Billiottet, arrivé à Doha pour suivre son épouse diplomate. En 2015, Christophe a déjà un lourd passé d’entrepreneur et décide de miser sur une nouvelle technologie : « l’intelligence artificielle me fascinait et je voulais entrer dans ce domaine-là avant tout le monde. A cette époque-là, on était des pionniers dans le Golfe, parmi les premiers à avoir ce type d’entreprise » se souvient le DG d’ADGS, une entreprise de recherche et développement dans le domaine de l’IA.
Avocate en finance dans un cabinet d’affaires, Julie Barbier n’a pas en tête de bâtir un empire entrepreneurial dans le Golfe, lorsqu’elle quitte Paris en 2010. Elle vient d’avoir son premier enfant et attend le deuxième. « Avec mon mari, on s’est dit qu’on allait partir 2-3 ans en expatriation pour changer de vie. Je travaillais 15 heures par jour, je n’avais pas le temps de voir mes enfants » raconte-t-elle. Sur place, elle met sa carrière entre parenthèses, refuse les propositions en cabinets qui lui sont rapidement faites et peu à peu, envisage l’entrepreneuriat. Sa première société, MYList, est une activité qu’elle développe à mi-temps, entre deux grossesses, avant d’en faire progressivement une véritable success story. « En tant qu’ancienne avocat, je recommande Dubaï pour un entrepreneur qui veut démarrer dans le Golfe sans connaître la culture : le cadre juridique y est simple, les démarches faciles » détaillent Julie Barbier.
En 2021, Paul Darmas n’a que 21 ans lorsqu’il décide de tenter l’aventure à Dubaï. Déjà entrepreneur à succès en France dans la création de sites internet, il cherche un nouveau cadre de vie. L’idée lui vient par la diffusion d’un reportage sur les entrepreneurs à Dubaï. Après 10 jours de repérage sur place, Paul est conquis : « Je me suis senti à l’aise tout de suite ». Deux semaines plus tard, il s’installe définitivement, sans projet professionnel ni contact. Une prise de risque assumée, même si les chambres de commerce recommandent plutôt l’inverse. «J’étais un peu naïf, je ne me rendais pas compte de la réalité. Comme j’avais déjà lancé un projet en France, je me disais que je réussirais à nouveau », raconte-t-il. Rapidement, son réseau devient son meilleur atout : au fil des rencontres avec des entrepreneurs, il commence à développer des sites web sur demande, sans avoir prémédité de créer une agence : « C’est venu très naturellement ». Au bout de trois mois seulement, son activité lui permet de vivre confortablement. L’adhésion à la Chambre de commerce française et la participation à ses événements vont amplifier l’élan : « Grâce à la CCI, j’ai trouvé 70 à 80 clients en trois ans », souligne-t-il.
Une montée en puissance rapide et solide
Dans le Golfe, quand un business fonctionne, la réussite est rapide et croissante. « Je suis arrivée à Dubaï pour prendre du temps avec mes enfants. Quinze ans plus tard, je vis en Arabie, j’ai acheté une maison et je prépare une introduction en bourse », résume Julie Barbier avec un sourire. Après être devenue une entrepreneure aguerrie à Dubaï, la française ouvre en 2018 une filiale de sa nouvelle entreprise, Merit incentives, une entreprise qui propose de clés en main des programmes de fidélité visant à renforcer l’engagement des clients. Elle obtient alors une licence inédite : « J’ai été la première femme étrangère à ouvrir une société en 100 % ownership en Arabie ». Une étape pionnière qui marque un tournant. La croissance explose ensuite, jusqu’à attirer l’attention d’investisseurs et permettre plusieurs levées de fonds. Aujourd’hui, Merit Incentives emploie près de 100 personnes, réalise plus de 70 millions de dollars de chiffre d’affaires et prépare son IPO. En 2023, dans le cadre du programme pilote Relocate with National Technology Development Program, qui vise à attirer les siège d’entreprises en Arabie Saoudite, Julie prend la décision : « j’ai relocalisé le siège à Riyad et dans ce cadre, j’ai été la première entrepreneure étrangère à recevoir Saudi Premier Residency », le visa investisseur.
Au Qatar, Christophe Boillittet a fait le pari d’un business à haute valeur ajoutée tenchologique. Pour accéder aux marchés publics et aux contrats sensibles, il lui fallait une structure locale. « Pour travailler avec les ministères ou l’armée, il faut être 100 % qatarie. Alors nous avons fait ce choix, qui ouvre des portes et offre beaucoup de flexibilité », commente Christophe. Alors que le Qatar est le seul pays du Golfe a encore imposer la règle du 51/49, avec un actionnariat majoritaire qatari, ADGS est enregistrée sous le nom de l’associé de Christophe, citoyen qatari. Un montage qui présente plusieurs avantages : absence totale d’impôts, procédures administratives simplifiées et frais réduits. « L’ouverture se fait en obtenant un registre commercial, puis une computer card et une licence annuelle, dont le coût reste faible (environ 200 à 300 euros) ». Il note aussi la fluidité de certaines formalités : « Ouvrir une entreprise, ça prend une semaine et à peu près 3 000 euros ». Et ajoute un point pratique sur le coût d’amorçage : « En France, il faudrait commencer avec 100 000 euros, Ici, 20.000, suffisent ».
A Dubaï, Paul Darmas quant à lui illustre cette nouvelle génération d’expatriés, très agiles et avides d’entreprendre : « A mon arrivée il y a 4 ans, il y avait peu de jeunes entrepreneurs de mon âge. Mais depuis 2 ans, la proportion a largement augmenté ». Digitality compte aujourd’hui une trentaine de salariés, des filiales et des sous-traitants partout dans le monde. Et en parallèle, Paul teste déjà de nouveaux business. Cette réussite est dûe a sa volonté et à son audace, aussi. Paul s’est immédiatement investi dans les arènes locales, notamment à Chambre de commerce française, qu’il considère comme un lieu clé de rencontres professionnelles. Il organise également de son côté une trentaine d’évènements entrepreneurs par an, et est devenu membre du board de la French Tech locale.
Des choix professionnels, un impact sur la vie personnelle
Mais l’adaptation n’est pas que professionnelle et Paul raconte avoir « beaucoup, beaucoup souffert de la solitude ». Le revers d’une installation jeune et sans réseau préalable. Il ajoute que bâtir un cercle prend du temps, près de 2 ans dans son cas. Et que cet aspect n’est pas à négliger : il a des répercussions sur le travail aussi. Sa méthode : multiplier les rencontres, organiser des cafés, aller à divers évènements. À l’inverse, Christophe met en avant les qualités familiales du Qatar : « Pour les familles, c’est formidable, c’est un pays tranquille, très agréable à vivre ». Il insiste également sur la sécurité, « vraiment exceptionnelle » et la qualité de vie pendant les saisons tempérées. De son côté, Julie, tombée sous le charme de l’Arabie Saoudite, s’y voit pour longtemps : « j’ai relocalisée ma mère ici aussi, après qu’elle soit tombée malade. Ici, elle a pu avoir un IRM en 24h quand il fallait attendre 3 mois en France ». Toute la famille vit sous le même toit, ce qui est un modèle « valorisé » en Arabie saoudite. « s’occuper de ses parents, c’est l’ouverture garantie des portes du paradis » selon les croyances locales.
S’installer dans le Golfe ne s’improvise pas. Comme le rappellent Julie, Paul et Christophe, la réussite exige un socle solide : une expérience entrepreneuriale déjà éprouvée, une expertise différenciante, ou au moins la capacité de démontrer rapidement sa valeur ajoutée. Car si la région regorge d’opportunités, elle impose aussi ses règles du jeu. Elle peut offrir des tremplins exceptionnels, mais seulement à ceux qui savent conjuguer ambition et méthode.
> Conseils concrets et écueils à éviter
Les trois témoignages convergent sur des règles pratiques, et parfois contre-intuitives, à respecter avant de se lancer.
- Venez avec un minimum de capital et un plan réaliste
Christophe : « Il faut avoir un petit capital : 20.000 € c’est bien. Venir avec les mains vides, ce n’est vraiment pas une bonne idée ». Point d’attention : logement et vie quotidienne pèsent (à Doha, loyers proches de ceux de Paris). - Construisez votre réseau dès le départ, et activez-le régulièrement
Paul : « J’ai tout basé sur le réseau. D’abord en allant à des événements divers, puis en étant extrêmement actif à la CCI. Il faut rencontrer les gens, organiser des cafés, apporter de la valeur ». Son message : l’investissement relationnel rapporte vite. - Comprenez le marché local et adaptez votre offre
Julie insiste sur la nécessité d’être sur place pour gagner la confiance : « Tant qu’on n’est pas sur place, les interlocuteurs ne font pas vraiment confiance » Adapter produit/positionnement au client local vaut mieux que dupliquer à l’identique une offre européenne. - Choisir la bonne structure juridique selon vos cibles
Christophe illustre le compromis : 100 % ownership qatari pour accéder aux ministères ; les free zones ou structures étrangères peuvent convenir pour l’export ou pour d’autres marchés, mais pas toujours pour les marchés sensibles. - Anticiper l’aspect humain — solitude, familles, scolarité
Paul alerte sur la solitude possible, surtout pour les jeunes expatriés venus seuls. À l’inverse, Christophe rappelle que certains pays (Qatar) ont fait d’importants choix « family friendly ». Julie montre qu’une décision d’expatriation peut aussi être motivée par l’accès aux soins : elle a relocalisé sa mère pour la qualité du système de santé.
Ce mois-ci, le dossier de Français à l’étranger est consacré aux pays du Golfe. Entre zones franches, réformes ambitieuses et projets comme « Vision 2030 », nous explorons l’attractivité de la région avec analyses, témoignages et conseils pratiques. Des articles à retrouver chaque jour, à l’occasion du GCC France Business Forum, organisé à Dubaï sous l’égide de CCI France International le 23 octobre.
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