Destinations au banc d'essai
Île Maurice et Dubaï: quand géopolitique et business font bon ménage
L’île Maurice et les Émirats arabes unis, particulièrement Dubaï, souhaitent accentuer leurs liens économiques dans le but d’attirer davantage de capitaux et d’investisseurs à la fois dans l’océan Indien et au Moyen-Orient. Une première pierre a été posée avec l’installation d’une antenne de l’EDB, le bureau de développement économique de l’île Maurice, dans les locaux même de la CCI de Dubaï, à l’invitation de l’émirat.
Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin. C’est l’un des enseignements de la pandémie : mieux vaut affronter les crises à plusieurs qu’en solitaire. L’île Maurice s’est donc mise en quête de nouveaux partenaires pour développer son économie. Sur la carte du monde, les Émirats arabes unis (EAU) n’ont pas tardé à s’imposer. Car eux aussi étaient à la recherche de nouveaux débouchés et ont immédiatement vu l’île de l’océan Indien comme une porte ouverte sur l’ensemble du continent africain. Les Émirats occupent aussi une position géographique enviable, à la jonction de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et du proche Moyen-Orient. D’autant qu’en 2006, les deux États avaient déjà signé un accord de non-double imposition. C’est donc un échange gagnant-gagnant qui se profile puisque Maurice est preneur de l’expertise des EAU dans le domaine de l’exploration des hydrocarbures, un secteur en vue sur l’île.
Les projets sont de toute façon nombreux. Le travail en commun pourrait rapidement s’étendre au tourisme, à l’immobilier de luxe ou encore à la Fintech (technologie financière). Signe visible de ce rapprochement : l’EDB (bureau de développement économique de Maurice) a ouvert l’an dernier un bureau au sein même des locaux de la Chambre de commerce et d’industrie de Dubaï, mis gratuitement à sa disposition pendant deux ans. Après la France, l’Inde, le Japon ou l’Afrique du Sud, cette ouverture s’inscrit dans la stratégie de continuité de l’EDB aux Émirats.
Marchés de niche
Reste que les produits mauriciens ou labellisés « Made in Moris » sont souvent des articles de consommation courante et se concentrent aujourd’hui sur les marchés émergents. L’île aurait tout intérêt à se tourner aussi vers des marchés de niche à forte valeur ajoutée et des articles de luxe pour atteindre un marché élevé, sophistiqué et à fort pouvoir d’achat comme celui des Émirats, avec à la clé une montée en gamme incontournable. Pour prendre pied de façon pérenne sur ce nouveau marché, le milieu d’affaires mauricien souhaite aussi être dans une logique d’engagement et de conquête plutôt que d’attente.
Dans son discours lors de l’inauguration du bureau de Dubaï, le ministre mauricien des Finances a salué cette l’association. Renganaden Padayachy s’est dit certain qu’elle ouvrirait de formidables opportunités aux entreprises et ne pourra que renforcer les liens entre les deux économies dans des secteurs-clé comme l’industrie pharmaceutique, les services financiers, l’immobilier, les TIC (technologies de l’information et de la communication) ou les énergies renouvelables. « Maurice est classé par la Banque mondiale comme le pays le plus propice aux affaires en Afrique et se classe au 13e rang mondial. Tout comme Dubaï est aujourd’hui un pôle d’attraction pour le monde, notre gouvernement s’est fixé un objectif clé pour attirer les investisseurs étrangers, les professionnels et donner une forte impulsion à la silver economy », a-t-il souligné. Grâce à cette nouvelle implantation, l’EDB sera en mesure d’identifier plus efficacement des investissements directs de l’Émirat.
Favoriser le développement privé
Maurice et Dubaï s’étaient déjà rapprochés durant la tenue dans l’émirat de l’Expo universelle en 2020. Pour Prithvirajsing Roopun, le président mauricien, « cette ouverture marque une nouvelle étape vers le renforcement des liens économiques et diplomatiques entre Maurice et Dubaï. Dans le contexte changeant de la mondialisation et du développement humain durable, l’île Maurice et les Émirats arabes unis identifieront de nouvelles méthodes et façons de stimuler et de favoriser le développement du secteur privé ».
Certes, les investissements du Moyen-Orient dans l’économie mauricienne ne représentent aujourd’hui qu’environ 4 % du total des IDE (investissements directs étrangers) à Maurice, dans des secteurs comme l’immobilier, l’industrie manufacturière, l’hôtellerie et les services aux entreprises, loin derrière l’Asie (54%) et l’Europe (26%), mais ces flux devraient s’accélérer grâce aux partenariats signés, notamment un accord de promotion et de protection des investissements (IPPA). Il a déjà permis de générer plus de 10 milliards d’euros de transactions entre les EAU et Maurice. Il faut dire qu’au cours des vingt dernières années, Dubaï, mais aussi Abu Dhabi se sont développés en tant que plaques tournantes de l’économie au Moyen-Orient. Les deux plus importants émirats sont considérés comme particulièrement sûrs et représentent une opportunité pour Maurice de diversifier ses marchés, notamment en ciblant des fonds souverains et privés, le capital-risque.
Une offre plus lisible
De nombreux pays d’Afrique voient le Moyen-Orient comme un marché de diversification très important grâce à la demande croissante et une population en général fortunée. Pour le petit État insulaire au milieu de l’océan Indien, il est essentiel d’établir de bonnes relations avec ces deux partenaires, mais la prudence s’impose : « Nous avons vu par le passé que de nombreux accords ne conduisent pas forcément à des développements profitables pour Maurice, explique à Business Magazine l’économiste Kevin Teeroovengadum. Quand un accord de libre-échange a été signé avec la Chine (entrée en vigueur en 2021, ndlr), nous avons constaté que Pékin augmentait ses exportations vers Maurice de manière bien plus importante que les exportations de Maurice vers la Chine. »
Citons également l’exemple d’Abu Dhabi qui a fourni aux Seychelles des vaccins anti-Covid. En échange, l’émirat a été autorisé à investir dans l’archipel dans le secteur du tourisme. Enfin, le marché du Moyen-Orient étant très différent des autres, il est essentiel pour les acteurs de s’imprégner de cette culture et de s’engager plutôt sur des accords de gouvernement à gouvernement que d’entreprise à entreprise, afin d’améliorer l’offre de produits et de la rendre plus lisible et plus transversale. Chacun souhaite que ce marché attractif pour les flux de capitaux et les IDE profite aussi aux petites et moyennes entreprises mauriciennes à la recherche de nouveaux canaux d’exportation.
Du pétrole à moindre frais
De son côté, Dubaï se positionne de plus en plus comme un centre financier mondial. Maurice compte aussi tirer profit de ces nouvelles alliances commerciales pour s’approvisionner en pétrole à moindre frais, une bonne partie des Émirats étant producteurs d’or noir. Cela devient même une urgence pour Maurice après les effets économiques dévastateurs de la pandémie sur certains secteurs comme le tourisme et l’aérien. Dubaï est également très avancé en matière de cryptomonnaie et de blockchain – des nouvelles technologies sur lesquelles lorgne aussi l’île Maurice – et serait ouvert à des synergies. L’émirat ne fait par ailleurs pas de mystère: il souhaite utiliser le centre financier mauricien pour accéder à l’ensemble du marché africain.
Les intermédiaires dubaïotes, fournisseurs des services financiers ou cabinets d’avocats, constatent combien s’améliore l’étendue des produits et la clientèle mondiale mauricienne. Rappelons que l’Afrique est la deuxième plus importante destination pour les investissements sortants effectués par l’intermédiaire de l’île Maurice, après l’Inde, pour un montant annuel moyen de 82 milliards d’euros, soit environ 6 milliards de dollars de recette fiscales pour l’Afrique chaque année. De plus, la multiplication des vols entre Maurice et les pays du Moyen-Orient, via des compagnies comme Etihad, Emirates ou Saudia, aide à créer des flux commerciaux.
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