Etudier et travailler
France-Espagne : des échanges multiformes
Les travailleurs frontaliers français ne sont guère nombreux à rejoindre la péninsule Ibérique pour gagner leur vie, mais la coopération de part et d’autre des Pyrénées s’exprime dans de nombreux autres domaines que l’emploi.
Délimitée par une chaîne montagneuse en guise de barrière naturelle, la frontière entre la France et l’Espagne s’est longtemps diluée dans les reliefs sinueux des Pyrénées, avant qu’elle ne soit formalisée au milieu du XVIIe siècle. Déroulant ses 623 kilomètres juste interrompus par la petite principauté d’Andorre, elle comporte une petite trentaine de points de passage(1) empruntés par une multitude de passagers, professionnels du transport, touristes, mais aussi travailleurs frontaliers.
Justement, qui sont-ils ces travailleurs ? Ils sont évidemment moins nombreux que ceux qui rallient le Luxembourg, l’Allemagne ou la Suisse au quotidien, des destinations où l’attractivité salariale est plus importante. Pour rappel, le salaire minimum en Espagne s’élève à 1125 euros mensuel brut depuis le 1er septembre dernier, contre 1605 euros en France (au 1er janvier 2022).
De manière globale, les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) disponibles(2) indiquaient que le travail transfrontalier vers l’Espagne ne concernait que 5.000 habitants de Nouvelle-Aquitaine ou d’Occitanie – certes en progression de 3% depuis 2009, mais bien moins que sur l’ensemble du territoire métropolitain (+16%).
Des Espagnols qui rejoignent l’Espagne
Autre particularité de ces frontaliers qui rejoignent l’Espagne au quotidien pour y travailler : bon nombre sont des Espagnols qui vivent en France (c’est le cas pour 70% d’entre eux dans les Pyrénées-Atlantiques, département qui compte de très loin le plus grand nombre de frontaliers). L’insee s’attarde notamment sur la spécificité d’Hendaye qui fait partie des 17 communes situées à proximité immédiate de la frontière, dans lesquelles résident 95% des frontaliers. L’institut de statistique pointe une ville qui «dispose d’infrastructures routières et ferroviaires permettant de franchir aisément la frontière[…], une offre plus riche de logements et un coût moindre du foncier qui semblent constituer des avantages comparatifs notables incitant des actifs espagnols à s’installer du côté français de la frontière. Enfin, la proximité de Saint-Sébastien (province de Guipuscoa) offre de nombreuses opportunités d’emploi».
Les transfrontaliers évoluent, pour 20% d’entre eux, dans le secteur du commerce et de la réparation automobile (contre 15% pour les autres actifs en emploi dans la zone). L’Insee relève aussi que le secteur concentre «un tiers des cadres intermédiaires administratifs et commerciaux d’entreprises». Ces derniers sont également présents «dans les activités de transport et entreposage, aux côtés des employés administratifs d’entreprises et des chauffeurs, tandis que l’industrie manufacturière emploie surtout des ouvriers qualifiés».
Poctefa, un précieux outil financier
Si les échanges transfrontaliers sont limités au niveau du travail, ils sont nombreux dans d’autres domaines. Entre les deux extrémités littorales, les espaces naturels des deux versants de la frontière favorisent l’économie rurale, le tourisme, la culture et la protection des ressources, des éléments qui déterminent la nature des différents projets transfrontaliers.
C’est le cas du programme européen Interreg Poctefa (Espagne-France-Andorre) qui tend à promouvoir le développement durable des territoires frontaliers de ces trois pays. La période 2021-2027 constitue la sixième génération de soutien financier communautaire dédiée à ce programme qui bénéficie du cofinancement du Fonds européen de développement régional (Feder). Fonctionnant sur le principe d’appels à projets, il était doté d’un budget de 189,3 millions d’euros sur la période 2014/2020. Les grands axes stratégiques de cette coopération frontalière locale sont définis tous les six ans, mais ils sont essentiellement centrés sur l’innovation et le développement économique, la formation et la protection du patrimoine naturel et culturel. Les bénéficiaires peuvent être des organismes publics, des entreprises, mais aussi des associations, des fondations, des chambres de commerce, des centres d’enseignement…
• Pour en savoir plus : https://www.poctefa.eu/fr/poctefa-2021-2027/
Des programmes très diversifiés
La coopération s’opère également en matière de transport, notamment au niveau de l’Eurocité basque (agglomération transfrontalière qui constitue l’un des principaux axes routiers entre l’Espagne et le reste de l’Europe). Le secteur maritime n’est pas en reste, incarné entre autres par le projet BlueSare, sélectionné sur appel à projets par l’Eurorégion Aquitaine-Euskadi et qui vise à développer une offre eurorégionale dédiée aux énergies marines renouvelables (EMR). La santé, avec l’hôpital transfrontalier de Cerdagne (à Puigcerda en Catalogne), profite aussi de cette logique de coopération dans une région montagneuse et isolée.
La formation de part et d’autre de la frontière est concrétisée au sein de l’Eurocampus Pyrénées Méditerranée, du réseau entre l’université publique de Navarre, de la Rioja et de Lérida en Espagne, ainsi que de l’université de Pau et des Pays de l’Adour et l’université Federal Toulouse Midi-Pyrénées. On peut également citer l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT), l’Association pour la coopération transfrontalière et interrégionale (Acti), et même l’école élémentaire transfrontalière du Perthus (Pyrénées-Orientales) qui accueille des enfants espagnols et français.
La coopération économique est également active, notamment au sein de la Chambre de commerce et d’industrie transfrontalière Bihartean, fondée en 2010 conjointement par la CCI de Bayonne-Pays basque et la Càmara de Comercio de Gipuzkoa. Les échanges entre les Eurorégions Pyrénées-Méditerranée et Aquitaine-Euskadi sont aussi les leviers pour booster les développement économique et l’innovation. Enfin, le panorama pyrénéen ne serait pas complet sans mentionner les axes de coopération entre les différents milieux naturels : Parc national des Pyrénées, Parc national d’Ordesa et du Mont-Perdu, Parc des Trois-Nations, Parc naturel régional des Pyrénées catalanes, etc.). Des partenariats qui servent la nature profonde de cette région : un espace environnemental qui s’affranchit des frontières.
(1) Ces points de passage sont toutefois moins nombreux depuis le début de l’année 2021, l’État français ayant décidé d’en fermer une quinzaine pour lutter contre le trafic de drogue et le passage de personnes migrantes.
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